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GUILLAUME TELL.

d’une cible, tout autre peut le faire ; mais le vrai maître, c’est celui qui partout est sur de son art, et dont le cœur ne trouble ni la main ni l’œil.

Walther Furst se jette à genoux devant lui. — Monseigneur, nous connaissons votre pouvoir ; mais préférez la clémence à la justice ; prenez la moitié de mes biens, prenez tout, seulement épargnez une telle horreur à un père.

Walther. — Grand-père, ne te mets pas à genoux devant ce méchant homme. Dis où je dois me placer, je n’ai pas peur pour moi : mon père atteint les oiseaux au vol, il ne frappera pas le cœur de son enfant.

Stauffacher. — Monseigneur, l’innocence de cet enfant ne vous touche-t-elle pas ?

Le curé. — Pensez donc qu’il y a un Dieu dans le ciel, à qui vous rendrez compte de vos actions.

Gessler., montrant l’enfant. — Qu’on le lie à ce tilleul.

Walther. — Me lier ! non, je ne veux pas être lié ; je serai tranquille comme un agneau, je ne respirerai même pas. Mais si vous me liez, non, je ne pourrai le souffrir, et je me débattrai dans mes liens. Rodolphe. — On va seulement te bander les yeux, mon enfant.

Walther. — Pourquoi ? Pensez-vous que je craigne une flèche lancée par la main de mon père ? Je veux l’attendre avec fermeté et ne pas sourciller. Allons, mon père, montre-lui que tu es un bon chasseur, il ne le croit pas, et il pense nous perdre. En dépit de cet homme cruel, tire sur la pomme et atteins-la. (Il va sous le tilleul ; on place la pomme sur sa tête.)

Melchthal, à ses compagnons. — Quoi ! ce crime s’accomplira sous nos yeux ! Pourquoi avons-nous fait serment ?

Stauffacher. — Tout serait inutile, nous n’avons point d’armes, et voyez cette forêt de lances autour de nous. Melchthal — Ah ! si nous avions accompli notre œuvre sur-le-champ ! Que Dieu pardonne à ceux qui ont conseillé le retard !

Gessler, à Tell. — À l’œuvre ! on ne porte pas des armes impunément. Il est dangereux de marcher avec un instrument de mort, et la flèche revient sur celui qui la lance. Ce droit que les paysans s’arrogent offense le seigneur de la contrée. Nul ne