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MADAME DE SÉVIGNÉ.

que vous faites maintenant. Cela me fait une diversion, sans m’éloigner pourtant de mon sujet et de mon objet aimé. Je songe donc à vous, et je souhaite toujours de vos lettres ; quand je viens d’en recevoir, j’en voudrais bien encore. J’en attends présentement, et je reprendrai ma lettre quand j’aurai de vos nouvelles. J’abuse de vous, ma très-chère ; j’ai voulu aujourd’hui me permettre cette lettre d’avance, mon cœur en avait besoin, je n’en ferai pas coutume. »

Cette fixité de regard sur l’objet disparu ne se lasse pas, et suit sa fille dans tout le voyage. Elle craint d’obséder, elle s’efforce quelquefois de sourire à travers les larmes. Le moindre retour de tendresse de son enfant vers elle l’enivre, lui arrache un cri de joie, une flatterie, une caresse ; elle veut se faire pardonner de trop aimer par celle qu’elle fatigue d’amour.

Vous comprenez bien, ma belle, qu’à la manière dont vous m’écrivez, il faut que je pleure en lisant votre lettre. Joignez à la tendresse et à l’inclination naturelle que j’ai pour vous la petite circonstance d’être persuadée que vous m’aimez, et jugez de l’excès de mes sentiments ! Méchante ! pourquoi me cachez-vous quelquefois de si précieux trésors ? vous avez peur que je meure de joie ! Mais ne craignez-vous pas aussi que je meure de déplaisir de croire voir le contraire ! Je prends votre ami d’Hacqueville à témoin de l’état où il m’a vue autrefois !… Mais quittons ces tristes souvenirs, et laissez-moi jouir d’un bien sans lequel la vie m’est dure et fâcheuse. Ce ne sont point des paroles, ce sont des vérités ; madame de Guénégaud me mande de quelle manière elle vous a vue pour moi ! Je vous conjure de garder le fond de ces sentiments, mais plus de larmes ! elles ne vous sont pas aussi saines qu’à moi ! Je suis à présent assez raisonnable, je me soutiens au besoin, et quelquefois je suis quatre ou cinq heures comme une autre ;