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MADAME DE SÉVIGNÉ.

mais peu de chose me replonge en mon premier état : un souvenir, un lieu, une parole, une pensée un peu trop arrêtée, vos lettres surtout ! les miennes même en les écrivant, quelqu’un qui me parle de vous, voilà des écueils à mon courage, et ces écueils se rencontrent souvent. Je vois madame de Villars : je m’y plais parce qu’elle entre dans mes sentiments ; madame de La Fayette comprend aussi les tendresses que j’ai pour vous, elle est touchée de celles que vous me témoignez. J’ai vu cette pauvre madame Amyot, elle pleure bien, je m’y connais ! Hélas ! de quoi ne me souviens-je pas ! les moindres choses me sont chères. »

A dater de cette séparation commence la véritable œuvre de madame de Sévigné, l’épanchement de sa vie dans ses lettres à sa fille. La correspondance de son esprit fait place à la correspondance de son cœur ; elle n’avait que le génie de l’agrément, le génie de la tendresse éclate sous ses larmes ; elle ne vit plus que pour écrire à sa fille, et pour que la douce assiduité de ses lettres, besoin quotidien de son amour, ne devienne pas une fastidieuse obsession de tendresse éternellement répétée sous sa plume, elle glane partout dans ses détails domestiques, dans ses entretiens, dans ses lectures, dans ses élévations, à la cour, à la ville, à l’armée, et jusque dans les scandales de son siècle, ce qui peut lui faire pardonner de tant écrire. Elle s’efforce d’intéresser et d’amuser, afin qu’on lui pardonne d’attendrir. A cette date aussi commence l’histoire épistolaire du siècle de Louis XIV : une femme cachée dans la rue des Tournelles, ou dans sa retraite des Rochers, tient à son insu la plume d’un secrétaire élégant de ce règne, tandis que Saint-Simon tient celle d’un Tacite des cours dans l’antichambre du Dauphin.

Singulière destinée de ce règne heureux en tout, d’avoir été écrit tout entier dans ses coulisses plus que dans ses annales par une mère qui cherche à amuser sa fille, et par