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MADAME DE SÉVIGNÉ.

possible qu’on s’en servît dans certaines occasions. En un mot, c’est toujours un trésor, quoi que nous en puissions faire, d’avoir un si bon miroir des faiblesses de notre cœur. M. d’Andilly est aussi content que nous de ce beau livre. »

 

Il s’en faut bien que le livre de M. Nicole ne fasse en moi d’aussi beaux effets qu’en M. de Grignan ; j’ai des liens de tous côtés ; mais surtout j’en ai un qui est dans la moelle de mes os ; et que fera là-dessus M. Nicole ? Mon Dieu, que je sais bien l’admirer ; mais que je suis loin de cette bienheureuse indifférence qu’il veut nous inspirer ! »

Elle s’accusait à sa fille de sentir l’élévation de cette morale sans avoir la force de sevrer son cœur de l’affection qui le remplissait. « Hélas ! mes paroles sont assez bonnes. Je les range comme ceux qui disent bien ; mais la tendresse de mes sentiments me tue ; par exemple, je n’ai point été trompée par les douleurs d’être séparée de vous ; je les ai imaginées comme je les sens. J’ai toujours compris que rien ne remplirait votre place ; que votre souvenir me serait toujours sensible au cœur, que je m’ennuierais de votre absence, que jour et nuit je serais occupée de vous ! Oui, je suis tout cela comme je l’avais pressenti ; il y a plusieurs endroits sur lesquels je n’ai pas la force d’appuyer ; toute ma pensée glisse la-dessus, comme vous disiez, et je n’ai pas trouvé que le proverbe fût vrai pour moi, d’avoir la robe selon le froid. Je n’ai point de robe pour ce froid-là ! »

Elle allait chercher ses consolations dans les temples et ses souvenirs à Livry. « Mon enfant, écrit-elle quelques jours après, il y a trois heures que je suis partie de Paris avec l’abbé (de Coulanges), Hélène (sa femme de chambre), Hébert (son valet de chambre) et Marphise (sa chienne), dans le dessein de me retirer du monde et du bruit jusqu’à jeudi soir. Je prétends être en solitude, je fais de lui