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MADAME DE SÉVIGNÉ.

m’achève. Pour vous, c’est par un effort de mémoire que vous pensez à moi ; la Provence n’est point obligée de me rendre à vous, comme ces lieux-ci doivent vous rendre à moi. J’ai trouvé de la douceur dans la tristesse que j’ai eue ici. Une grande solitude, un grand silence, un office triste, des ténèbres chantées avec dévotion, un jeune canonique et une beauté dans ces jardins dont vous seriez charmée, tout cela m’a plu. Je n’avais jamais été à Livry la semaine sainte.

» Hélas ! que je vous y ai souhaitée ! Quelque ennemie que vous soyez de la solitude, vous auriez été contente de celle-ci.

» Mais je m’en retourne à Paris par nécessité. »

L’absence du roi de Paris, la fluctuation de sa vie dans le vide, le besoin de repasser sur les traces de ses beaux jours de recueillement avec sa fille, la ramènent aux Rochers, au fond de la Bretagne, pendant la session des états de la province où son fils représentait la noblesse. C’est la que toute sa légèreté s’évapore, et que la solitude pour laquelle elle semblait si peu faite l’enveloppe du seul bonheur qui lui reste, ses souvenirs et ses tristesses. La perte de la présence de sa fille en a fait une autre femme ; elle s’y plonge dans toute la poésie des larmes, elle y épuise l’infini du regret, elle y découvre ces délicieuses sympathies entre la nature inanimée et l’âme vivante qui ont fait depuis le génie de Jean-Jacques Rousseau, de Bernardin de Saint-Pierre, de Chateaubriand, et qui étaient des mystères pour les écrivains de la cour toute mondaine de Louis XIV.

« Enfin, ma fille, me voici dans ces pauvres Rochers : peut-on revoir ces allées, ces devises, ce petit cabinet, ces livres, cette chambre, sans mourir de tristesse ? Il y a des souvenirs agréables ; mais il y en a de si vifs et de si tendres, qu’on a peine à les supporter. Ceux que j’ai de