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MADAME DE SÉVIGNÉ.

vous sont de ce nombre. Ne comprenez-vous pas bien l’effet que cela peut faire dans un cœur comme le mien ? J’ai quelquefois des rêveries, dans ces bois, d’une telle noirceur, que j’en reviens plus changée que dans un accès de fièvre : là je rêve tout ce qu’on peut rêver ; j’en ai le temps et le lieu ; j’ai le champ libre dans mon jardin pour y faire ce qui me plaît, il me plaît de m’y promener le soir jusqu’à huit heures ; mon fils n’y est plus, cela fait un silence, une tranquillité, une solitude que je ne crois pas qu’on puisse rencontrer ailleurs. Je ne vous dis point à qui je pense, ni avec quelle tendresse ? Quand on devine, il n’est pas besoin de parler. Nous lisons toujours le Tasse et cette Morale de Nicole, qui est admirable, et la Cléopâtre de mademoiselle de Scudéri aux heures perdues : c’est ordinairement sur cette lecture que je m’endors ! »

Ah ! mon enfant, poursuit-elle à une autre heure, que je viens de bien me promener dans l’Humeur de ma fille (nom qu’elle avait donné, dans l’enfance de madame de Grignan, à une allée de ses bois où sa fille aimait à rêver seule) ! Je viens de ce bois ; vraiment ces allées sont d’un charme duquel je ne me lasse pas ! Il y en à six que vous ne connaissez pas du tout, mais celles que vous connaissez sont embellies par la croissance des arbres ; il fait à présent beau et sec, j’y demeure entre chien et loup ; c’est là que j’ai le loisir de vous aimer. Je vous remercie, mon enfant, d’avoir conservé quelque doux souvenir du patrio nido ! et pourquoi serait-il impossible de vous revoir dans ces belles allées ?… »

Elle puise alors dans son âme, pour l’intérêt de ses lettres à sa fille, tout ce que la vie de la campagne offre de douces vicissitudes quotidiennes, de détails domestiques, de distractions familières. On la suit dans les promenades, dans ses visites à.ses voisins, dans ses parterres, dans ses soirées d’automne au coin du feu, dans ses lec-