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MADAME DE SÉVIGNÉ.

confidente de ses désordres que la décence maternelle ne le tolérerait aujourd’hui, enfin la guerre, arrachèrent Sévigné à l’amour de Ninon. Madame de Sévigné le conduisit en Bretagne, et fit diversion à ses regrets par le charme de ses entretiens et de son indulgence.

Madame de Sévigné alla ensuite passer quinze mois en Provence auprès de madame de Grignan, et reconquit tous les cœurs aliénés par la froideur de sa fille.

Il y a huit mois que je suis ici, mon cher cousin, écrit-elle à Bussy. Je vous mandai le courage que j’avais eu d’y venir de Bretagne ; je ne m’en suis pas repentie. Ma fille est aimable, comme vous le savez, elle m’aime extrêmement. M. de Grignan a toutes les qualités qui rendent la société agréable. Leur château est très-beau et très magnifique. Cette maison a un grand air ; on y fait bonne chère, et on y voit mille gens. Nous y avons passé l’hiver sans autre chagrin que d’y avoir le maître de la maison malade d’une fièvre dont le quinquina a eu toutes les peines du monde à le tirer, tout quinquina qu’il est. Enfin il est guéri. Il a fait un voyage à Aix, où l’on a été ravi de le revoir. D’un autre côté, mon fils est venu encore de Bretagne prendre des eaux en ce pays, ou la bonne compagnie, qu’il augmente fort par sa présence, lui fait plus de bien que tout autre remède. Nous sommes donc ici tous ensemble. Il y a une jeune petite Grignan que vous ne connaissez pas, qui tient fort bien sa place. Elle a seize ans ; elle est jolie ; elle a de l’esprit ; nous lui en donnons encore. Tout cela ensemble fait fort bien et trop bien ; car je trouve que les jours vont si vite, et les mois et les années, je ne puis plus les retenir. Le temps vole et m’emporte malgré moi ; j’ai bien voulu le retenir, c’est lui qui m’entraîne ; et cette pensée me fait grand’peur. Le petit Grignan a passé l’hiver avec nous, il a eu la fièvre ce printemps ; il n’est que depuis quinze jours retourné à son régiment. Il est en-