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MADAME DE SÉVIGNÉ.

asservissement à ses charmes. Les hommes les plus illustres par le talent, et quelques-uns même des plus austères par leurs principes, ne se déshonoraient pas en fréquentant sa maison. On voit par les plaintes de madame de Sévigné à sa fille que Racine et Boileau soupaient chez Ninon aux dépens de son fils, après avoir lu le matin leurs vers au roi et à madame de Maintenon.

Cette double séduction dans la même famille à trente ans de distance rouvrit la blessure au cœur de madame de Sévigné ; elle se révolta contre Ninon, et s’efforça de faire rougir son fils d’une passion contre nature.

« Mais qu’elle est dangereuse cette Ninon ! écrit-elle a sa fille : si vous saviez comme elle dogmatise sur la religion, cela vous ferait horreur. Son zèle pour pervertir les jeunes gens est pareil à un certain M. de Saint-Germain, que nous avons vu quelquefois à Livry. Elle trouve que votre frère a la simplicité d’une colombe ; il ressemble à sa mère ; c’est madame de Grignan qui a tout le sel de la maison et qui n’est pas si sotte que d’être dans cette docilité. Quelqu’un pensa prendre votre parti, et voulut lui ôter l’estime qu’elle a pour vous : elle le fit taire et dit qu’elle en savait plus que lui. Quelle corruption ! Quoi ! parce qu’elle vous trouve belle et spirituelle, elle veut joindre à cela cette bonne qualité sans laquelle, selon ses maximes, on ne peut être parfaite ! Je suis vivement touchée du mal qu’elle fait à mon fils sur ce chapitre. Ne lui en mandez rien : nous faisons nos efforts, madame de La Fayette et moi, pour le dépétrer d’un engagement si dangereux. »

Plus loin : « Je crois que le chapitre de votre frère vous a fort divertie. Il est présentement en quelque repos : il voit pourtant Ninon tous les jours ; mais c’est en ami. Je l’emmène en Bretagne, où j’espère que je lui ferai recouvrer la santé de l’âme et du corps. »

L’éloignement, les reproches tendres de sa mère, plus