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MADAME DE SÉVIGNÉ.

alla se plonger, et en même temps un brouillard affreux ; et moi de m’enfuir. Je ne suis point sortie de ma chambre ou de la chapelle jusqu’à aujourd’hui que la colombe a apporté le rameau. La terre a repris sa couleur, et le soleil ressortant de son trou fera que je reprendrai aussi le cours de mes promenades ; car vous pouvez compter, ma très-chère, puisque vous aimez ma sauté, que quand le temps est vilain je suis au coin de mon feu lisant et causant avec mon fils et sa femme. »

Dans cette solitude elle perdit peu de l’intérêt de son existence, car elle était de ces âmes de température tiède, auxquelles la vieillesse enlève peu de leur chaleur en ajoutant à leur sérénité. La seule passion, ou plutôt le seul instinct qu’elle avait eu dans toute sa vie était son instinct de mère ; celui-la s’accroît au lieu de décroître dans la femme avec les années. Moins on vit en soi, plus on revit dans son enfant. Sa vie ne s’épuisait pas, elle se transvasait de plus en plus dans une autre.

Dans une telle disposition d’esprit on ne sent pas le vide, car le cœur qui n’a jamais débordé est toujours aussi plein. L’amitié suffit à la température de pareilles âmes. Madame de Sévigné avait beaucoup d’amis avec lesquels elle s’entretenait par un doux exercice de plume de causer spirituellement de toute chose ; à l’exception de sa fille, sa vie n’avait été qu’une conversation de soixante-dix ans. Un seul homme, parmi ces nombreux causeurs, paraît avoir échauffé son âme jusqu’à la chaleur de la véritable amitié : cet homme était Corbinelli. C’est le nom qui revient le plus souvent dans ses lettres.

Corbinelli était un de ces hommes rares que la nature semble avoir créés pour être les spectateurs bénévoles des choses humaines, sans y prendre jamais d’autres parts que la curiosité du spectacle et l’intérêt qu’ils portent aux auteurs. Ces hommes modestes, mais nécessaires, ressem-