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MADAME DE SÉVIGNÉ.

sa fille. A Paris, Corbinelli voyait tous les jours madame de Sévigné ; il la suivait quelquefois à Livry ou aux Rochers ; absente, il lui écrivait ou en recevait des lettres fréquentes. L’empire de son amie sur lui était si doux qu’il ne se sentait pas esclave en étant asservi à tous ses goûts ; cet empire était si absolu, qu’a l’époque où madame de Sévigné devint dévote, Corbinelli devint mystique. Il la suivit comme le satellite suit la planète, depuis les dissipations mondaines de sa jeunesse jusqu’à l’ascétisme de Port-Royal, et au pied des autels.

Tel était le principal ami de madame de Sévigné : si on ôtait son nom de ses lettres, on mutilerait ce monument ; il y est incrusté jusqu’au cœur, et il le mérite. Il ne faut pas priver de tels dévouements de leur seule gloire, la gloire d’avoir aimé. Corbinelli, dont la douce philosophie et l’aimable insouciance de lui-même prolongèrent démesurément l’existence, survécut à son amie comme il aurait survécu à sa propre vie, et ne mourut qu’à l’âge de cent quatre ans. Les sentiments doux vivifient l’homme.

Ceux de madame de Sévigné étaient trop vifs pour qu’elle n’en fût pas consumée. L’obsession d’une seule pensée la suivait de plus en plus jusque dans ses retraites. La vie de sa fille, devenue mère à son tour, agitée par l’ambition, gênée par la prodigalité de M. de Grignan, se répercutait douloureusement dans la sienne. Elle avait de temps en temps quelques cris de joie, bientôt changés en réflexions et en larmes, à la vue des sites que remplissait pour elle l’image de son enfant.

« Me voilà, ma fille, lui écrit-elle de la Silleraie dans ces dernières années, me voila dans un lieu où vous fûtes un jour avec moi ; mais il n’est pas reconnaissable, il n’y a plus pierre sur pierre de ce qui était en ce temps-là. »

Et en retournant aux Rochers :

« J’ai trouvé des bois, dit-elle, d’une beauté et d’une