Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 36.djvu/129

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
MADAME DE SÉVIGNÉ.

cinq heures. Depuis que nous n’avons plus mon fils, je lis pour épargner la petite poitrine de sa femme. Je la quitte à cinq heures ; je m’en vais dans les aimables allées, j’ai des livres, je change de place, je varie le tour de mes promenades. Un livre de dévotion, un livre d’histoire ; on va de l’un à l’autre, cela fait divertissement, un peu rêver à Dieu, à sa Providence, posséder son âme, songer à l’avenir ; enfin, sur les huit heures, j’entends la cloche, c’est le souper. Je suis quelquefois un peu loin ; je retrouve ma belle-fille dans son beau parterre, nous nous sommes une compagnie ; on soupe pendant l’entre chien et loup… Je retourne avec elle à la place Coulanges, au milieu de ses orangers. Je regarde d’un œil d’envie la sainte horreur des bois, au travers la belle porte de fer que vous ne connaissez pas.

» Il y a écho, un petit rediseur mot à mot jusque dans l’oreille. »

On voit qu’elle voulait dire jusque dans le cœur. L’écho existe encore, dit M. de Walsh, auteur d’une biographie des plus accentuées de madame de Sévigné. Une plaque de marbre dans le parterre indique aux pèlerins des Rochers la place où il faut prononcer le nom que cette mère lui a appris pour qu’il le répète.

C’étaient les dernières heures aussi du soir serein de madame de Sévigné ; elles durèrent seize mois. Puis vint la mort, la mort véritable, naturelle, après une telle vie, la mort d’une mère qui se sacrifie pour son enfant et qui meurt à sa place.

Madame de Sévigné apprit aux Rochers que sa fille était malade au château de Grignan, en Provence, d’une de ces maladies sourdes et lentes qui sont comme les piéges cachés de la vie ; elle partit pour Grignan dans une saison rigoureuse, et s’oubliant elle-même ; elle se consuma pendant trois mois de veilles autour du lit de madame de