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MADAME DE SÉVIGNÉ.

Grignan, comme elle avait fait autour de son berceau. Après ces trois mois de veilles et d’insomnies, elle eut la joie de ramener sa fille à la vie ; mais la sienne avait été donnée en échange. Sa tendresse seule semblait avoir l’étendu en elle la vie que la convalescence de madame de Grignan laissa fuir comme sans objet désormais sur la terre. Elle s’éteignit le 16 avril 1696 dans les bras de sa fille, et entourée de ses petits-enfants en larmes. Son dernier regard vit cette fille, ressuscitée par ses soins, recueillir son âme. Elle fut ensevelie dans la chapelle du château de Grignan ; mais sa véritable et vivante sépulture, ce sont ces lettres ; son corps est à Grignan, son âme est toute là.

Non loin de sa tombe, on montre aux voyageurs sa grotte chérie de Roche-Courbierre, sur les flancs de laquelle les racines d’un figuier poussent encore quelques branches contemporaines de la visiteuse de Grignan ; c’est à l’entrée de cette grotte, à l’ombre de ce figuier, qu’elle aimait à s’asseoir pour écrire. Ce lieu est voisin de ces grottes de Vaucluse, illustrées par Pétrarque, poëte qu’elle adorait, parce qu’il n’avait vécu, comme elle, que d’une seule pensée. Madame de Sévigné, à la poésie près, est, en effet, le Pétrarque de la prose en France. Comme lui, sa vie n’a été qu’un nom, et elle a ému des millions d’âmes des palpitations d’un seul cœur. Comme lui, elle ne doit sa gloire qu’à un seul sentiment.

Telle fut la vie sans événements de cette femme qui n’eut pas d’autre histoire que ce qui se passe entre le cœur et l’esprit dans la chambre d’une mère qui pense à sa fille absente. Des regrets, des alarmes, des tendresses, des départs prévus, des retours espérés, des réunions passionnées, mais silencieuses, des confidences de famille dont l’intérêt ordinairement ne dépasse pas le seuil de la maison, des descriptions, des lieux et des sites aimés par leurs sou-