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MADAME DE SÉVIGNÉ.

venirs, des conversations avec les amis et les voisins, un écho souvent lointain des rumeurs de la cour, le commérage à huis clos d’un siècle immortel, enfin une mort douce après une vie sans, drame : voilà, toute cette existence. Elle est monotone comme le chant d’une nourrice qui berce son enfant depuis le berceau jusqu’à la mort ; et cependant le monde ne se lasse pas de l’écouter. Les renommées des hommes de guerre, des ministres, des poëtes, des orateurs sacrés de ces temps subissent les vicissitudes de la postérité, et s’enfoncent plus ou moins vite dans la brume de la distance ; la personne et les lettres de madame de Sévigné n’ont cédé ni une palpitation ni une page au temps ; on recherche, comme des trésors, les moindres billets dans les archives des familles avec lesquelles cette femme mémorable fut liée et la découverte d’une correspondance de la causeuse solitaire des Rochers ne donnerait pas moins d’émotion aux érudits que la découverte d’un livre tronqué de Tacite ? Pourquoi cela ? C’est que le cœur humain est plus sympathique encore qu’il n’est curieux, et que les secrets de la tendresse d’une mère pour son enfant, quand ils sont surpris à la nature et gravés par le génie du sentiment, ont autant d’intérêt pour nous que les destinées d’un empire. Entrez dans l’intérieur de toutes les demeures, regardez sur la tablette de la cheminée le titre du livre le plus répandu, le plus usé par la main des lecteurs de la famille : vous trouverez vingt fois contre une la correspondance de madame de Sévigné. Les chefs-d’œuvre de l’esprit humain cèdent le pas à cette conversation éternelle. C’est le classique des portes fermées.

Toutefois c’est le livre de la vieillesse plus que des vertes années de la vie. Il n’a pas assez de passion pour la jeunesse. Pour s’y plaire, il faut que la première chaleur de la vie soit éteinte ou amortie en nous par l’âge avancé. C’est le livre du soir, non du matin ; il a le jour doux, les