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BOSSUET.

caractère rural, laborieux et patient de quelque ancêtre, laboureur de durs sillons, Bos suetus aratro : le Bœuf assidu à la charrue. Le génie infatigable et discipliné de l’enfant qui venait de naître ne devait pas démentir cette caractérisation de sa race.

Cette famille n’était pas vieille à Dijon. Elle y avait été transplantée d’une autre petite ville de la même province, nommée Seurre, ville de culture et de pâturage dans les prairies aux sources de la Saône. Le mouvement naturel et ascendant qui porte les familles aisées, à mesure qu’elles s’allient plus loin et plus haut, à se transplanter des campagnes dans les petites villes et des petites villes dans les capitales des provinces, avait amené l’aïeul de Bossuet à Dijon. Dijon était une ville, pour ainsi dire, fédérale, qui conservait les vestiges de sa nationalité indépendante. L’aïeul de Bossuet, ses frères, ses fils, ses neveux, y avaient occupé ces charges inférieures, mais considérées, du parlement et de la chambre des comptes, degrés par lesquels la haute bourgeoisie montait, de magistrature en magistrature héréditaire, à la noblesse. Il avait des alliances et des parentés dans l’aristocratie fière, exclusive et dédaigneuse de Dijon. Ce mépris inné que Bossuet apporta en naissant pour l’égalité des conditions, cet instinct des hiérarchies et des castes, ce goût pour l’autorité, ce verbe haut, ce regard sec, sont des empreintes de cette race patricienne de la haute Bourgogne, où le sang, chaud à la tête, laisse souvent le cœur froid. Le caractère d’une race se retrouve dans chacun de ses enfants ; les exceptions ne sont que des hasards. Le génie d’un homme ne dément pas le génie d’une ville. Dijon est une capitale d’intelligence ; non d’enthousiasme ni de sentiment. Saint Bernard, Bossuet, Buffon, les enfants de cette ville, sont des hommes de bronze ou de marbre plus que de chair. L’un a pour victime Abélard, l’autre Fénelon ; le troisième dis-