Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 36.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
146
BOSSUET.

de plus haut aux yeux de l’Église, dont il était déjà l’espérance.

Il entra dans Paris le jour où le cardinal de Richelieu mourant y rentrait, comme Tibère à Rome, au milieu du silence de la terreur, et tout empourpré du sang de Cinq-Mars et de de Thou, qu’il venait de verser à Lyon. Bossuet assista à cette entrée du prêtre ministre et bourreau, qui menait son maître asservi à sa suite. Ce spectacle rappelait le Bas-Empire dans toute son ignominie et dans toute sa férocité. Le ministre jaloux arrachait au roi ses amis et jetait insolemment leurs cadavres à ses pieds, sous prétexte de les immoler en victimes à la monarchie. Le roi tremblait, pleurait, se taisait. Le peuple, étonné, regardait sans comprendre. L’histoire a été assez lâche pour imiter le peuple, et pour faire à ce Séjan capricieux, bizarre, sanguinaire, un mérite de ses audaces et une mémoire de ses échafauds. Cette mémoire finira par être de la honte quand la vraie postérité jugera les actes à la moralité et non au succès.

La main de Dieu s’était chargée enfin de délivrer le trône et la nation de ce Cromwell de la France. Le cardinal de Richelieu expirait de la fatigue de son ambition et de sa tyrannie. Il se déguisait a lui-même et il cherchait à déguiser au peuple son agonie sous le fard de ses joues et sous l’appareil d’un triomphe. Pour lui éviter les secousses des roues, vingt de ses licteurs personnels, la tête toujours nue, sous le soleil ou sous la pluie, se relayant d’une extrémité du royaume à l’autre, soutenaient sur leurs épaules sa litière. Cette litière était une chambre portative, dans laquelle il avait son lit, sa table de conseil, ses familiers, ses secrétaires, donnant en route ses ordres à l’empire pour distraire ses insomnies. Comme les portes des villes n’étaient ni assez hautes ni assez larges pour ce palais mobile, on les abattait pour laisser passer le vieillard. On