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BOSSUET.

retarder le bonheur que le souverain pontife allait ressentir d’une si illustre conquête. « N’en faites rien, je vous en conjure, Sire, lui dit Turenne ; car, si je croyais que cette conversion toute spontanée pût me valoir seulement le gant que vous portez à la main, je ne changerais pas de foi ! » Le roi, aussi familier que triomphant, voulut donner à Turenne un confesseur de sa main ; ils montèrent tous deux dans un carrosse, sans gardes et sans armoiries, pour aller ensemble, et sans être connus, chercher un confesseur pour Turenne dans les monastères de Paris.

Cette conversion rapprocha encore Bossuet de l’épiscopat. On attribua la conquête du vieux guerrier à la lecture d’un livre que Bossuet venait de publier, intitulé Exposition de la doctrine de l’Église romaine. Ce livre, écrit pendant son séjour à Metz, témoignait plus de sa foi que de son talent. La lucidité dans la controverse, l’ordre dans le style, et le raisonnement appliqué aux mystères, sont les seuls caractères de ce premier de ses écrits. Bossuet s’y montrait plus grand catéchiste que grand écrivain ; mais c’était le mérite que voulait le moment. Ce livre, en naissant, devint texte ; il l’est encore pour les catholiques romains. Sa renommée, grande déjà comme orateur, grandit comme théologien. On l’appela a prêcher enfin à Paris. Ce fut la qu’il éclata tout entier.

Un concours tel qu’on n’en avait pas vu depuis les temps d’Abélard se pressa dans le parvis des églises où le jeune prédicateur prenait la parole. On avait entendu et on devait entendre des discours plus littéraires et plus achevés : on n’avait rien entendu, on ne devait rien entendre de plus haut. Cette voix enlevait d’un mot au sublime. Bossuet déplaçait son auditoire de ses pensées habituelles, pour le transporter dans des régions nouvelles de la contemplation et de la présence de Dieu. C’était l’orateur au-dessus des nuées, touchant de la main le ciel,