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BOSSUET.

voyant la terre bien loin et bien bas sous ses pieds, jouant avec les éclairs et les foudres, et comblant de dédain pour les choses mortelles l’abîme de pensées hautes, fortes, éternelles, sur lequel il penchait ses auditeurs, en leur donnant le vertige de sa prodigieuse élévation.

Son style, conforme et cette majesté du lieu, paraissait de plain-pied avec l’infini. Ce style était simple comme l’oracle qui dédaigne de plaire, inculte comme le mot qu’on jette sans choix à la précipitation de sa pensée, lent comme la méditation qui oublie l’heure, hâté comme l’inspiration qui craint de s’échapper à elle-même, inachevé comme le trait qu’on lance au hasard et qu’on ne suit pas même de l’œil pour en ramasser un autre, nu comme la vérité à qui on arrache tous ses voiles pour les fouler aux pieds, dans son empressement vers elle seule ; abondant comme l’infini, recueilli comme le temple, quelquefois vulgaire comme le peuple, toujours approprié par la nature et non par l’art à l’idée ou au sentiment, lyrique surtout, c’est-à-dire oubliant l’auditoire et le raisonnement pour jeter le cri inattendu de la joie ou de la douleur, et criant ou chantant alors directement face à face avec Dieu, dans des dialogues ou dans des hymnes qu’on n’avait pas entendus depuis Moïse ou depuis les prophètes !

Voilà ces sermons de Bossuet. Nous n’en possédons que les préparations et les ébauches. Ce sont des jalons jetés dans l’espace entre ciel et terre, pour tracer sa route à travers les hasards de l’inspiration. Mais ces ébauches et ces préparations sont si enchaînées par la logique, qu’on rétablit facilement les chaînons rompus çà et là, et qu’on remplit facilement par l’imagination les vides. On entend le discours tout entier par quelques mots ; on mesure l’impression de l’auditoire alors vivant, non pas au texte, mais aux lacunes mêmes du texte de ces discours. On sent que chacune de ces lacunes était un abîme de ré-