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MILTON.

passer la vengeance de ses ennemis. Bientôt, pour mieux effacer son nom du ressentiment des royalistes, il fit répandre le bruit de sa mort et célébrer, lui vivant, ses propres funérailles. Ce subterfuge lui sauva la vie.

On ne le découvrit qu’après que la première fureur des réactions fut assouvie et comme épuisée de supplices. Il avait vu de ses fenêtres le cadavre de Cromwell exhumé par le bourreau, promené dans les rues de Londres, et exposé sur le gibet aux insultes de la multitude.

Charles II avait connu la retraite de Milton, et avait feint de croire à la réalité de sa mort. Il ne voulait pas tacher son règne du supplice d’un de ces hommes historiques dont le sang crie trop haut vengeance à la postérité. Il lui fit même généreusement offrir de lui rendre ses fonctions de publiciste du gouvernement, s’il voulait consacrer ses talents à la cause royale.

Sa seconde femme le sollicitait à cette bassesse.

« Vous êtes femme, lui répondit Milton, et vous pensez aux intérêts domestiques de notre maison ; moi, je pense à la postérité, et je veux mourir conforme à moi-même. »

Il était tombé dans une médiocrité voisine de l’indigence. Ses yeux, qui avaient toujours été faibles, avaient presque perdu la lumière. Il ne marchait que conduit par la main de ses filles. Charles II, en se promenant à cheval, rencontra un jour l’aveugle dans le parc de Saint-James. Le roi demanda qui était ce beau vieillard privé de la vue. On lui dit que c’était Milton. Il s’approcha en apostrophant l’ancien conseiller de Cromwell avec le ton d’un sévère enjouement.

« C’est le ciel, monsieur, lui dit-il, qui vous inflige sans doute le châtiment pour avoir trempé dans le meurtre de mon père !

» — Sire, répliqua avec une mâle liberté le vieillard, si les maux qui nous affligent en ce monde sont le châtiment