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BOSSUET.

furent aussi immenses que ces travaux furent vains. Bossuet, de quarante-cinq à cinquante-cinq ans, refit ses études tout entières pour apprendre l’étude à un enfant. Il résuma toutes ces études dans un livre, le Discours sur l’histoire universelle, comme Fénelon devait résumer toute son imagination et tout son cœur pour un autre enfant, dans un autre livre, le Télémaque. Ces deux précepteurs de princes, se résumant ainsi eux-mêmes, l’un dans une histoire, l’autre dans un poëme, caractérisent bien leurs deux génies. Le Discours sur l’histoire universelle, malgré la supériorité de l’histoire sur le roman, et malgré la supériorité de l’écrivain sur le poëte, sera un monument moins durable de l’éducation du Dauphin, que le Télémaque ne l’a été de l’éducation du duc de Bourgogne. Le Discours sur l’histoire universelle n’est qu’une théorie de l’esprit ; le Télémaque est un tableau de la nature. Les théories passent, la nature reste.

Le préjugé bien légitime du génie grandiose de Bossuet comme orateur a, selon nous, trop consacré jusqu’ici le préjugé de la supériorité de son œuvre comme historien. L’histoire raconte, elle ne contemple pas : Bossuet ne racontait jamais et contemplait toujours. Son regard généralisait trop pour rien détailler ; il voyait de trop haut et trop loin pour bien peindre toutes choses autrement que par résumés et par masses. Il pouvait faire des mappemondes historiques, il ne pouvait pas faire ce drame de la vérité qu’on appelle l’histoire, drame dans lequel les nations, les hommes, les événements, calqués avec leur caractère propre, leur âme, leurs formes, sur la nature impriment, par l’admiration, la piété, les larmes, le sang, une empreinte vivante dans la mémoire par l’émotion du cœur. Or, sans émotion dans le lecteur, point de mémoire, et, sans mémoire, point d’histoire et point d’enseignement.