perfections et même des chimères de sociétés politiques, qui sont le germe et quelquefois le piège des philosophes législateurs pères de la Révolution française. Ses larmes sur le sort des peuples et ses leçons à l’héritier du trône inquiétaient le maître du trône ; il craint que l’esprit de la royauté ne soit corrompu dans son héritier par quelque excès de vertu qui jette l’empire dans les utopies, ces précipices de la bonne intention ; il le relègue à distance de son gouvernement. Le philosophe se retire en pleurant sur le sort du peuple et des princes. Il se réfugie en Dieu ; il donne les leçons et les exemples de cette vertu plus difficile aux hommes de génie qu’aux autres hommes, l’humilité. N’ayant pas pu améliorer l’empire, il améliore et il sanctifie en lui l’homme et le chrétien ; il meurt de langueur et de sainte tristesse dans l’obscurité. Ses œuvres et ses vertus se répandent et se multiplient après lui, de sa tombe, comme la liqueur d’un vase enfoui et brisé sous les pieds de ses profanateurs, et son nom devient le nom de toute poésie, de toute politique et de toute piété pendant deux siècles.
Tel est Fénelon. Encore une fois, ne dirait-on pas d’un Pythagore ou d’un Platon de la France ? Nous allons retracer cette vie, une des plus belles des temps où nous sommes.
Fénelon était né d’une famille noble et militaire du Périgord, vivant tantôt dans les camps, tantôt dans le fond de cette province, parmi le peuple des campagnes, et non encore corrompue par l’air des cours. Son père, Pons de Salignac, comte de Fénelon, retiré du service, avait eu plusieurs enfants d’un premier mariage avec Isabelle d’Esparbès. Veuf et déjà avancé en âge, il avait épousé Louise de Saint-Abre, fille d’une noble maison de la même province. Les enfants du premier lit s’affligèrent et murmurèrent de ce second mariage de leur père. Ils craignaient que les enfants qui en surviendraient ne réduisis-