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FÉNELON.

hommes. Louis XIV s’était fait accepter comme une exception à tout, même à Inhumanité. On ne jugeait pas le roi comme on jugeait le reste des créatures : il semblait avoir sa conscience, sa vertu, son Dieu, à part des autres mortels. Ce fut un moment unique dans l’histoire de la grandeur des cours, et de l’enivrement des courtisans, et de la prosternation des peuples.

Cette majesté du trône venait moins encore de celui qui régnait que des événements qui avaient amené son règne. La royauté complète et absolue était mûre pour cette époque ; Louis XIV en cueillait le fruit. Deux grands ministres, Richelieu et Mazarin, venaient, l’un, de préparer la tyrannie en abattant la noblesse libre ; l’autre, de préparer la paix et l’obéissance en adoucissant le joug sur le peuple esclave, en captant les parlements, en amnistiant les factions, en séduisant la cour, en corrompant les princes, et en remettant, à force de machiavélisme doux, la France vaincue, achetée, pardonnée et lasse, entre les mains d’un enfant. L’énergique et dure volonté du Gaulois dans Richelieu, le génie grec et italien dans Mazarin, semblaient s’être ainsi succédé et concertés pour façonner le royaume à la servitude et à la paix.

Tout le règne de Louis XIV est dans ces deux hommes, l’un la terreur, l’autre l’attrait de la royauté. On a apprécié et peut-être flatté Richelieu ; on n’a pas encore mis Mazarin à sa hauteur dans l’histoire, Machiavel sans crime de la monarchie française. Louis XIV, après sa mort, n’eut rien à conquérir en autorité et en respect, il n’eut qu’à régner.

Grâce à ces deux précurseurs, il n’eut pas besoin d’être un grand homme pour être un grand roi. Il lui suffisait d’avoir un cœur élevé et un esprit juste ; il eut l’un et l’autre. Ce qui éclairait son esprit, ce n’était pas le génie, c’était le bon sens. Ce qui élevait son cœur, ce n’était pas