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NELSON.

que c’était que la peur, dont il entendait souvent parler. On le lui expliqua. « C’est singulier, dit-il avec une naïveté de courage dont il ne se doutait pas encore, je n’avais jamais compris ce que c’était que cette impression, parce que je ne l’avais jamais sentie. »

Un matelot de confiance de son oncle vint prendre l’enfant pour le conduire à bord du Raisonnable, qui était à l’ancre a l’embouchure de la rivière. Le petit Horatio quitta avant le jour le foyer de son enfance et s’arracha en sanglotant aux derniers embrassements de son frère William et de ses sœurs. Son courage n’était que l’exaltation de son âme, et s’associait à la plus tendre sensibilité : il avait pour aimer un cœur de femme. Ce ne fut qu’en faisant violence à ses larmes qu’il arriva les yeux secs au vaisseau.

Son oncle n’était pas à bord ; l’enfant inconnu et isolé resta comme un étranger tout le jour et toute la nuit sur le pont du bâtiment, sans que personne lui adressât la parole. Il se rappela toute sa vie ces heures d’angoisse et cette réception si cruelle pour le cœur brisé d’un enfant sur le pont d’un vaisseau prêt à l’emporter sur les vagues. Ce pont cependant devait être un jour sa patrie, son empire, sa gloire et sa tombe.

Horatio fit deux campagnes sur le Raisonnable et sur le Triomphe, autre bâtiment encore commandé par son oncle ; mais le Triomphe ayant été désarmé après la guerre contre l’Espagne, Nelson s’embarqua volontaire sur un navire du commerce qui faisait un voyage de long cours, et il acquit dans cette navigation, plus libre et plus aventureuse l’audace du matelot et la prudence du pilote le plus consommé. Son oncle, à son retour, le reçut de nouveau à bord du vaisseau le Triomphe, où il commandait dans la Tamise une école navale pratique et théorique de jeunes aspirants.