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MILTON.

venons de nommer, un seul est véritablement original, c’est-à-dire né de lui-même, de sa foi, de son pays, de son temps : c’est le Dante. Il ne ressemble a personne de l’antiquité poëtique ; c’est un moine de quelque sombre monastère chrétien de l’âge barbare, qui rêve sous son cloître un paradis, un purgatoire, un enfer monastiques comme son imagination, et qui raconte, à son réveil, à ses frères en simplicité, des choses étranges, bizarres, triviales, atroces, quelquefois sublimes, qui n’ont jamais été racontées avant lui.

C’est l’Apocalypse des poëtes, inintelligible par le sens, grandiose et presque antédiluvienne par l’image, incomparable et véritablement monumentale par la langue.

Le Tasse imite Homère et Virgile, en les conformant à la religion, aux mœurs, à la langue, au goût et même aux vices de son temps. La religion n’est que le prétexte de son poëme ; la chevalerie, la guerre et l’amour en sont le fond. Il est plus amant que théologien. Ses récits sont gracieux comme des pastorales de Théocrite, mélancoliques comme des élégies de Tibulle, romanesques comme des aventures des Amadis. C’est le roman de chevalerie passé avec les Arabes de Bagdad à Ferrare, et élevé par le tendre génie du Tasse à la dignité et à l’immortalité de l’épopée.

Milton est le moins original des trois grands poëtes chrétiens, car il imite d’abord d’Homère, puis Virgile, puis Dante et le Tasse. Mais son vrai modèle est Dante. Il emprunte le même sujet surnaturel à la théogonie chrétienne ; il chante a l’Angleterre ce que l’Italie a déjà entendu : la lutte des anges créés, révoltés contre leur créateur, les amours de l’Éden, la séduction de la femme, la chute de l’homme, l’intercession du Fils de Dieu auprès du Père, inexorable si ce n’est par la mort de son fils, partie de lui-même, la Rédemption entrevue au fond comme le dénomment de cette tragédie divine.