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MILTON.

Enfin toute cette série de mystères que le philosophe transperce de ses conjectures, que le théologien explique, et que le poëte chante, sans leur demander autre chose que du merveilleux, des images, des émotions.

Or, pourquoi Milton choisit il ce sujet d’épopée théologique pour le chanter à l’Angleterre, si riche en traditions saxonnes ou ossianiques, déjà populaires et si propres à servir de texte à une grande épopée originale et nationale du Nord ?

La réponse est dans son caractère et dans sa vie. Sa nature était théologique, et la plus jeune moitié de sa vie s’était écoulée en Italie. Le premier voyage d’un homme est une seconde naissance. C’est là qu’il s’imbibe de ces premières sensations et de ces premières images qui le pénètrent jusqu’à une sorte de transformation de lui-même. Le phénomène de la pétrification ne s’opère pas seulement par l’eau sur la plante, il s’opère sur l’homme par l’air qu’il respire. Milton avait respiré, à Rome et à Naples, dans la fréquentation des grands esprits italiens de l’époque, la poésie et la liberté, ces deux âmes de son âme ; il avait recherché la société des Italiens les plus célèbres et les plus lettrés des différentes cours et des différentes nations qu’il y avait visités. Il était devenu Italien de langue, d’oreille, de goût et de cœur. Il avait été lui-même prématurément apprécié et, pour ainsi dire, pressenti par les politiques et par les lettrés illustres de Florence, de Rome et de Naples.

Il est curieux aujourd’hui, quand on visite les archives et les bibliothèques des souverains d’1talie, de retrouver fréquemment, dans les correspondances des poëtes et des savants de ce siècle, la mention du nom de ce jeune Anglais « ami des Muses, qui parle et qui écrit même en vers la langue de Torquato, et qui promet à l’Angleterre un grand orateur, un grand politique, un grand poëte. » Les étran-