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MADAME DE SÉVIGNÉ.

comte du Lude, caractère noble et généreux, l’en estima davantage. Bussy-Rabutin, qui était son cousin, ne lui pardonna jamais son indifférence. Possédé de tous les genres de vanités qui dépravaient en lui tous les genres de mérite, son amour dédaigné se changea en haine sourde, mais implacable. De courtisan public de sa cousine, il se fit pamphlétaire anonyme dans son Histoire amoureuse des Gaules, et il s’efforça honteusement de ternir la vertu dont il n’avait pu triompher.

Madame de Sévigné n’aspirait, au milieu de cette atmosphère d’adoration, qu’à se recueillir, avec le mari qu’elle aimait, dans l’isolement d’une vie paisible, à la campagne, loin des vanités et des séductions de Paris. Elle parvint, au printemps de 1645, à entraîner le marquis de Sévigné dans une de ses terres de Bretagne, aux environs de Vitré.

Cette terre, depuis longtemps négligée, s’appelait les Rochers. Ce vieux château fut le gîte de son court bonheur, comme le donjon de Bourbilly avait été celui de son berceau. Cette demeure lui rappelait Bourbilly. Ses murs et ses jardins délabrés attestaient la longue absence de ses possesseurs. Son horizon bornait les désirs et les pensées comme les yeux. Le château s’élevait sur une éminence du sol, au pied de laquelle murmurait une petite rivière cherchant sa pente entre les blocs de granit verdis d’arbustes. L’ombre dormante des châtaigniers, des chênes et des hêtres noircissait les rares clairières ; des haies de houx et d’épines encadraient les champs cultivés et les pelouses tachées des fleurs jaunes des genêts ; des landes immenses, bornées au loin par la brume, s’éclairaient çà et là d’une nappe d’étang ou d’un rejaillissement de soleil : la mélancolie de la terre s’y communiquait à l’âme. Quelques vestiges d’une antique magnificence marquaient cependant la maison d’un signe de vétusté et de noblesse. De longues