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MADAME DE SÉVIGNÉ.

amours du roi et par les traditions encore vivantes de la Fronde, où les princesses étaient les embaucheuses des factions ; l’exemple même du marquis de Sévigné, mari indifférent et amant volage, autorisaient la jeune femme à ces liaisons qui ne scandalisaient plus le temps. Son amour obstiné pour son mari l’en défendit autant que sa vertu. Son nom retentit dans les vers des poëtes, jamais dans les chuchotements de la chronique amoureuse de cette cour. Elle ne vit dans les accents passionnés de ses adorateurs que des jeux d’esprit qui flattaient ses oreilles sans aller jusqu’à son cœur. Elle resta, sans ostentation et sans morgue, pure au milieu de cette corruption. Tous les poëtes de son temps attestent ce désintéressement des passions, si naturel en elle, qu’on l’accusait de froideur.

Cette pureté fut une rare exception de son siècle ; mais elle fut inaltérable, sans être austère. Elle semblait demander grâce plutôt qu’hommages pour sa vertu ; elle joua avec les passions qu’elle inspirait, sans s’en laisser effleurer, et, de tant d’idolâtries qui brûlaient l’encens à ses pieds, elle ne respira que la fumée.

La Fontaine, Montreuil, Ménage, Segrais, Saint-Pavin, Benserade, Racan, la célébraient à l’envi. Le premier lui adressa cette épigramme amoureuse, à propos d’un jeu de société où elle avait paru avec un bandeau sur les yeux :

De toutes les façons vous avez l’art de plaire ;
Sous mille aspects divers vous charmez tour à tour.
Voyant vos yeux bandes, on vous prend pour l’Amour ;
Les voyant découverts, on vous prend pour sa mère !

Le comte du Lude et le comte de Bussy-Rabutin, les deux hommes les plus séduisants de la cour, affichaient pour elle une adoration dont elle était flattée, mais que son amour pour son mari découragea de toute espérance. Le