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MADAME DE SÉVIGNÉ.

qui portent ce caractère et qui vous donnent de l’âme une impression plus vivante que du génie ? Trois ou quatre. Le livre masque presque toujours l’auteur : pourquoi ? Parce que le livre est une œuvre d’art et de volonté, où l’auteur se propose un but, et où il se montre, non ce qu’il est, mais ce qu’il veut paraître. Ce n’est pas dans les livres qu’il faut chercher le véritable style ; il n’est pas là. Je me trompe : il est là, mais c’est dans les livres que l’homme a écrits sans penser qu’il faisait un livre, c’est-à-dire dans ses lettres ; les lettres, c’est le style à nu ; les livres, c’est le style habillé. Les vêtements voilent les formes ; en style comme en sculpture, il n’y a de beau que la nudité. La nature a fait » la chair, l’homme a fait l’étoffe et la draperie. Voulez-vous voir le chef-d’œuvre, dépouillez la statue : cela est aussi vrai de l’esprit que du corps ; ce que nous aimons le mieux des grands écrivains, ce ne sont pas leurs ouvrages, c’est eux-mêmes ; les œuvres où ils ont mis le plus d’eux-mêmes sont donc pour nous les meilleures ; qui ne préfère mille fois une lettre de Cicéron à une de ses harangues ? une lettre de Voltaire à une de ses tragédies ? une lettre de madame de Sévigné a tous les romans de mademoiselle de Scudéri, qu’elle appelait Sapho, et dont elle regardait d’en bas briller la gloire sans oser élever son ambition si haut ? Ces grands esprits ont eu du talent dans leurs ouvrages prémédités d’artistes, mais ils n’ont eu de véritable style que dans leur correspondance ; pourquoi encore ? Parce que là ils ne pensaient point à en avoir ou à en faire. Ils prenaient comme madame de Sévigné leur sensation sur le fait ; ils n’écrivaient pas, ils causaient ; leur style n’est plus le style, c’est leur pensée même.

De toutes les facultés de l’esprit, la plus indéfinissable, selon nous, c’est le style, et, si nous avions à notre tour à le définir, nous ne le définirions que par son analogie avec quelque chose qui n’a jamais pu être défini, la physionomie