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MADAME DE SÉVIGNÉ.

humaine. Nous dirions donc : Le style est la physionomie de la pensée.

Regardez bien un visage, et tâchez de vous expliquer à vous-même pourquoi ce visage vous charme, ou vous repousse, ou vous laisse indifférent : le secret de cette indifférence, de ce charme ou de cette répulsion est-il dans tel ou tel trait de ce visage ? dans l’ovale plus ou moins régulier du contour ? dans la ligne plus ou moins grecque du front ? dans le globe plus ou moins enfoncé des yeux ? dans leur couleur ? dans leur regard ? dans le dessin plus ou moins correct des lèvres ? dans les nuances plus ou moins vives du teint ? Vous ne sauriez le dire, vous ne le saurez jamais ; l’impression générale est un mystère, et ce mystère s’appelle physionomie. C’est la contre-épreuve du caractère tout entier sur le front, c’est le résumé vivant et combiné de tous les traits flottants comme une atmosphère de l’âme sur la figure. Tant de nuances concourent à former cette atmosphère qu’il est impossible à l’homme qui la sent de la décomposer ; il aime où il n’aime pas, voila toute son analyse ; le jugement n’est qu’une impression aussi rapide qu’un instinct ; il est aussi infaillible en nous que l’impression que nous ressentons en plongeant la main dans une eau brûlante, tiède ou froide ; nous avons chaud ou nous avons froid à l’âme en regardant cette physionomie, voilà tout ce qu’il nous est permis de conclure.

Eh bien, il en est de même du style, nous sentons s’il nous charme ou s’il nous laisse languissants, s’il nous réchauffe ou s’il nous glace ; mais il est composé de tant d’éléments indéfinissables de l’intelligence, de la pensée et du cœur, qu’il est un mystère pour nous comme la physionomie, et qu’en le ressentant dans ses effets, il nous est impossible de l’analyser dans ses causes. Les rhéteurs n’ont jamais pu l’enseigner ni le surprendre, pas plus que les chimistes n’ont pu saisir le principe de vie qui fuit sous