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MADAME DE SÉVIGNÉ.

tout le pays à une lieue à la ronde. Il y a cinq ou six solitaires qu’on ne connaît point, qui vivent comme les pénitents de saint Jean Climaque ; les religieuses sont des anges sur terre. Mademoiselle de Vertus y achève sa vie avec des douleurs inconcevables et une résignation extrême. Tout ce qui les sert, jusqu’aux charretiers, aux bergers, aux ouvriers, tout est modeste. Je vous avoue que j’ai été ravie de voir cette divine solitude dont j’avais tant ouï parler ; c’est un vallon affreux, tout propre à inspirer le goût de faire son salut. Je revins coucher au Meni, et hier ici, après avoir embrassé M. d’Andilly en passant. »

Madame de Sévigné crut devoir s’éclipser quelque temps avec sa fille dans sa solitude des Rochers pour laisser passer cette mauvaise étoile, et pour faire regretter de Paris celle qu’on n’y apercevait pas assez : elle se retira en Bretagne, et passa tout un hiver aux Rochers.

Cette absence réveilla, en effet, les regrets sur lesquels son dépit avait compté. Elle fut assaillie de phrases et de vers, où ses amis, ses admirateurs et ses poëtes déploraient son éloignement, et la rappelaient à ce centre d’esprit et d’agrément obscurci depuis qu’elle en retirait sa lumière. Saint-Savin, dans une épître familière, se fit l’interprète avoué de ces regrets. Il la flattait dans sa passion.

Votre fille est le seul ouvrage
Que la nature ait achevé ;
Dans les autres elle a rêvé.
Aussi la terre est trop petite
Pour y trouver qui la mérite……

La mère offensée fut sourde à ces repentirs de Paris ; elle prolongea jusqu’au printemps son séjour aux Rochers, s’exerçant par la réflexion et par la lecture à se passer du monde. Elle s’y occupait à relever sa fortune pour ses enfants et à embellir sa demeure.