Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 36.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
MADAME DE SÉVIGNÉ.

sentait elle-même que sa beauté avait plus d’éblouissement que de chaleur. « Au premier moment, écrit-elle à sa mère, on me croit adorable, et quand on me voit davantage on ne m’aime plus. » Madame de Sévigné, qui avait placé toute son ambition en elle, aspirait à lui faire épouser un des grands noms de la cour. La naissance, la beauté, la fortune de sa fille, justifiaient cette espérance. Mais la froideur de la fille, et peut-être aussi la défaveur secrète de la mère dans l’esprit du roi, écartaient les prétendants.

« La plus jolie fille de France vous fait ses compliments, écrivait-elle à son cousin Bussy ; ce nom paraît bien séduisant, je suis pourtant lasse d’en faire les honneurs si longtemps. »

Bussy répond : « Je reconnais la bizarrerie du destin dans la difficulté de marier la plus jolie fille de France. »

La plus jolie fille de France, réplique la mère, est plus digne que jamais de vos hommages, et pourtant sa destinée est si difficile à comprendre que pour moi je m’y perds. »

L’explication de cette destinée, qui humiliait et contristait le cœur de la mère, était tout entière dans la crainte que les grandes familles de cour avaient, de participer à la défaveur d’une femme qui tenait aux factions politiques éteintes, par sa jeunesse, et aux factions religieuses naissantes, par ses liaisons avec les Arnauld, entachés de jansénisme.

Elle peint ces solitaires avec un charme infini.

Je revins hier, dit-elle, du Meni, où j’étais allée pour voir le lendemain M. d’Andilly ; je fus six heures avec lui ; j’eus toute la joie que peut donner la conversation d’un homme admirable ; je vis aussi mon oncle de Sévigné, mais un moment. Le Port-Royal est une Thébaïde ; c’est un paradis, c’est un désert où toute la dévotion du christianisme s’est rangée. C’est une sainteté répandue dans