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MADAME DE SÉVIGNÉ.

tage ? Je trouve que nous sommes bien sorties d’intrigue. »

On voit par ces allusions railleuses et presque cruelles au double et heureux veuvage de M. de Grignan, à la mort complaisante de son père et de son fils unique, que sa joie d’avoir trouvé un mari selon ses desseins l’emportait sur la décence même des expressions. On s’apercevra de plus en plus, en lisant sa correspondance, que l’esprit était en plus grande proportion que le sentiment dans sa nature, et qu’à l’exception de sa fille, tout était léger dans ses émotions.

Les premiers mois du mariage de madame de Grignan répondirent en effet aux espérances qu’avait eues madame de Sévigné de ne jamais se séparer de sa fille. Ils s’écoulèrent dans cette douce retraite de Livry, qui rappelait à madame de Sévigné ses plus beaux jours de jeunesse, en abritant encore les plus beaux jours de sa maturité. Tout ce qu’elle écrit de Livry, pendant et après ce séjour, respire la paix, l’ombre et le recueillement de ces bois. Une seule amertume empoisonna pour elle ce bonheur. Un cheval fougueux renversa sous les yeux de la jeune comtesse de Grignan le frère cadet du comte de Grignan. Madame de Grignan était enceinte : l’excès de son émotion la fit défaillir ; elle se blessa. Cette sensibilité bien naturelle à l’accident d’un beau-frère qu’elle aimait fut interprétée par la calomnie comme la preuve d’une préférence criminelle de la comtesse pour le plus beau, le plus jeune et le plus aimable des Grígnan. Le monde retentit de ces soupçons ; les poëtes le consacrèrent dans leurs épigrammes ; les femmes, jalouses de la beauté et de la vertu dans une femme, l’élevèrent jusqu’aux oreilles du roi. Madame de Sévigné, atteinte dans ce qu’elle avait de plus vulnérable, la renommée de sa fille, s’en plaignit au duc de La Rochefoucauld et au prince de Condé, qui soufflèrent de haut sur cette calomnie ; mais la cicatrice en resta au cœur de ma-