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première époque.

S’élève pour bénir à la fois les deux faîtes,
Comme un homme étendant ses deux bras sur deux têtes.
Là, je me retournai pour la première fois,
Et m’assis sur la pierre au pied de cette croix ;
Je vis se dérouler sous moi le paysage,
Le jardin verdoyer sous les murs du village,
La colombe blanchir les toits, et la maison
Retirer lentement son ombre du gazon.
Je vis blanchir dans l’air sa première fumée,
Une main entr’ouvrir la fenêtre fermée.
Un soupir emporta mon âme à ce doux lieu,
Et sur l’herbe, à genoux, je m’écriai : « Mon Dieu !
Vous qui prenez le fils, restez avec la mère !
Que l’heure du départ n’y soit pas même amère !
Je ne quitte, ô mon Dieu, ces cœurs et ce séjour,
Qu’afin de leur laisser plus de paix et d’amour :
Que l’amour et la paix y restent à ma place,
Et que le sacrifice attire au moins la grâce !
Veillez, au lieu de moi, sur ses chers habitants ;
Bénissez nuit et jour leur route et leurs instants ;
Soyez vous-même, ô Dieu ! vous, ô céleste père !
Pour la mère le fils, et pour la sœur le frère ;
Comblez-les de vos dons, menez-les par la main,
Par une longue vie et par un doux chemin,
Au terme où nous devons vous rendre grâce ensemble,
Et que dès ici-bas votre sein nous rassemble ! »
Je dis, et, sous les bois de ces derniers sommets,
L’horizon paternel s’abaissa pour jamais.