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jocelyn.

Grotte des Aigles, 24 août 1793.

Il repose ; écrivons. Quel jour ! quelle semaine !
De deuil et de bonheur pour moi comme elle est pleine !
Et par quel coup de foudre, hélas ! ai-je acheté
Cet enfant, compagnon de mon adversité ?


Le jour baissait ; j’avais passé l’heure après l’heure ;
Errant de site en site autour de ma demeure,
Je venais de m’asseoir sur le roc incliné
Qu’en tombant des hauteurs la cascade a miné ;
Mes jambes et mon front pendaient sur cet abîme,
Et je suivais des yeux ce tourbillon sublime
Qui, m’enivrant de bruit et d’étourdissement,
De mes propres pensers m’ôtait le sentiment ;
Je dominais de là l’ouverture profonde
Où la neige d’été roule en poudre avec l’onde,
Et le pont naturel qui sur son double bord
Se dresse, et de mon lac défend l’affreux abord.
Mon âme se laissait, indolemment bercée,
Emporter flots à flots et pensée à pensée,
Et, se perdant au sein de ces œuvres de Dieu,
Était déjà bien loin et du jour et du lieu ;
Quand un coup de fusil, que l’écho répercute,
Tonne et roule au-dessus du bruit sourd de la chute.
Je m’éveille en sursaut, je me lève ; je vois
Deux soldats poursuivant deux proscrits aux abois :