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jocelyn.

9 décembre 1794, le soir.

On eût dit que sa vie eût coulé par ma bouche,
Et son cœur soulevait le manteau sur sa couche :
— « Que tu m’as fait de bien ! dit-elle. Oh ! quel bonheur !
» Quoi, nous n’étions qu’amis, nous serons frère et sœur !
» Frère ! sœur ! oh ! s’il est un nom encor plus tendre,
» Laisse-moi le chercher pour te le faire entendre ;
» Tu m’aimes donc de même après l’aveu fatal ?
» — C’est toujours toi !… Pourtant, Laurence, tu fis mal
» De me tromper ; on doit tout dire à ce qu’on aime.
» Tu m’exposais, enfant, à me tromper moi-même,
» À prendre auprès de toi, sans soupçon, jour à jour,
» Pour la sainte amitié quelque coupable amour ;
» À puiser, dans tes yeux et dans la solitude,
» D’un bonheur surhumain l’enivrante habitude ;
» Et, quand il eût fallu fuir et ne plus te voir,
» À mourir de ma honte ou de mon désespoir.
» Car, vois-tu, bien qu’encore aucun vœu ne me lie,
» Aux autels, tu le sais, j’ai destiné ma vie ;
» Ma promesse au Seigneur me dévouait à lui :
» Qui sait si je puis même y manquer aujourd’hui ?
» Qui sait, lorsque le sang du martyre l’arrose,
» Si je puis en honneur abandonner sa cause ?
» De l’Église où j’entrai sur mes pas revenir ?
» Et, sans m’être rendu par Dieu, m’appartenir ?
» Pour savoir quel arrêt d’en haut il faut attendre,
» Par la voix des pasteurs j’ai besoin de l’entendre.