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quatrième époque.

Avril 1795.

Oh ! quels plans nous faisions sous l’arbre ce matin !
Que ce présent pour elle encore a de lointain !
Que j’aimais à la voir, avec l’air du délire,
Avec ses yeux rêveurs qui si loin semblaient lire,
Bâtir et renverser, et rebâtir encor
Mille ombres de bonheur avec ses songes d’or,
Pour le temps où, sortis du désert où nous sommes,
Nous serons descendus du ciel parmi les hommes ;
Soit que nous retrouvions dans ses manoirs chéris
De ses biens paternels quelques nobles débris,
Et qu’au sein d’une large et somptueuse aisance
Notre amour de nos cœurs s’épanche en bienfaisance ;
Soit que, déshérités de tout bien ici-bas,
Nous fécondions un coin de terre avec nos bras,
Et nous nous bâtissions dans notre étroit royaume,
Pour couver nos amours, un pauvre toit de chaume
Ou que dans les cités, pour gagner notre pain,
Nous vivions du salaire et d’un travail de main,
Pauvre couple caché dans quelque chambre nue,
Abritant sous les toits une joie inconnue,
Achetant par le jour le doux repos du soir,
Puis au soleil couché revenant s’y rasseoir,
Y rendre grâce à Dieu, dans leur reconnaissance,
De ce bonheur obscur caché sous l’indigence,