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préface.
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et froid des réalités ; les autres sont encore dans l’ingénuité des premières heures de la vie, et comme enivrés de ce premier regard, qui n’est si délicieux que parce qu’il n’analyse rien. D’autres enfin sont arrivés à cet âge où l’on retrouve le calme dans le découragement accepté, où l’on congédie toutes les chimères séduisantes de la vie, où l’on s’assied sur le seuil de sa porte, comme l’ouvrier à la fin du jour, pour voir passer les autres, pensant à tous ceux qui sont déjà passés, et à Dieu qui ne passe pas. Confident de tous ces états divers de l’âme, le poëte, du sein de sa solitude, devient ainsi le consolateur invisible de bien des peines, et le confesseur de toutes les imaginations.

Je voudrais que vous pussiez assister quelquefois, monsieur, à la réception du courrier, et décacheter les lettres qui se sont accumulées quelques jours, pendant une absence ou une distraction du poëte. En voici un monceau de toutes les formes, de tous les timbres, de toutes les contrées. Les adresses seules sont un indice presque infaillible de ce qu’elles contiennent. En voici dont le papier jauni par le vinaigre, et percé par le couteau du lazaret, annonce qu’elles ont traversé la peste, et qu’elles apportent quelques lointains et chers souvenirs d’Orient. Elles sont écrites en arabe, et il faut les envoyer à Paris ou à Marseille pour les faire traduire. En voilà dont la forme rectiligne et dont le caractère sérieux annonce la grave et pensive Allemagne : c’est de la philosophie aussi éthérée que la poésie elle-même ; je les ouvre déjà avec recueillement. En voici de Rome, de Naples, de Florence : l’écriture en est mauvaise et indéchiffrable ; mais elles sont écrites dans cette langue sonore et musicale qui donne à la pensée ou au sentiment qu’elle exprime le retentissement éclatant et prolongé du métal. En général, ce sont des vers lyriques échappés à quelques jeunes âmes fortes qui manquent d’air dans ces pays sta-