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jocelyn.

Que chaque enfant de l’homme à mes yeux soit Laurence !
Oui, fais-moi vivre ainsi d’amour et d’espérance !
D’espérance ? Ô mon Dieu, vous ne condamnez pas
Cette goutte de l’eau du ciel tombée en bas,
Que l’on boit dans sa main sans s’arrêter pour boire.
Mon espérance à moi, mon Dieu ! c’est ma mémoire !
Oui, quand nos jours d’absence auront été comptés ;
Quand, par divers chemins, nous serons remontés
Dans le sein créateur d’où nos âmes jumelles
Descendirent ici, se reconnaîtront-elles ?
Je m’oublîrais moi-même, ô Laurence, avant toi !
Et ne suis-je pas elle, et n’est-elle pas moi ?
Renaître sans se voir et sans se reconnaître,
Ce serait remourir, Seigneur, et non renaître !
Oui, ton ciel tout entier n’est dans ton sein, mon Dieu,
Que l’éternel retour après le court adieu,
Que le regard sans fin, que le long cri de joie
Qu’en retrouvant sa sœur l’âme à l’âme renvoie,
Que l’immortelle étreinte où tout ce qui s’aima
Retrouve les doux noms dont l’amour le nomma !
Oui, dans les profondeurs des cieux où tu te voiles,
Dans ces espaces bleus, dans ces sentiers d’étoiles,
Il est, il est, ô Père, un suprême séjour
Que ta main comme un nid prépare au saint amour,
Des déserts dans tes cieux tout voilés de mystères,
Des cimes comme ici, des grottes solitaires
Où les âmes en toi pour s’aimer s’enfuiront,
Et dont les anges même à peine approcheront.
À ta magnificence, ô Père, je me fie !
Tu rends cent mille fois ce qu’on te sacrifie,
Mais de plus qu’ici-bas je ne demande rien.
D’autres rêvent leur ciel ; mais moi j’ai vu le mien !…