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neuvième époque.
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Des sentiers parcourus déposant leur fardeau,
S’éloignaient altérés, pour chercher un peu d’eau.
Seul alors, je restais un moment en prière,
À genoux, et le front sur le front de la bière,
Et laissant sur le bois mes lèvres se poser,
De l’éternel amour chaste et secret baiser !
Puis je me relevais et reprenais ma course,
Comme si j’avais bu moi-même à quelque source.
Déjà le crépuscule et son pâle rayon
Dévoilait par degrés à mes yeux l’horizon.
Comme un homme qui voit à demi dans un rêve
Un fantôme adoré qui dans l’ombre se lève,
Chaque place parlait de Laurence à mes yeux :
C’était la roche creuse où le berger pieux
Venait cacher pour nous le pain de nos délices ;
C’était l’onde écumante au fond des précipices ;
L’arche où le premier jour je l’avais aperçue,
La rive où sur mon cœur mes bras l’avaient reçue,
La neige où je croyais voir encor goutte à goutte
Le sang d’un père, hélas ! qui nous traçait la route ;
Puis le vallon rempli pour nous de tant de jours
D’innocente amitié, de célestes amours ;
Le lac ridant ses eaux comme un tissu de soie,
Dont les vagues pour nous semblaient bondir de joie ;
Les cinq chênes sur l’herbe étendant leurs bras noirs,
Ces lieux de nos bonheurs et de nos désespoirs,
Où le drame divin de tout notre jeune âge
Avait à chaque site attaché son image !
Et nous la déposions quelquefois, par hasard,
À la place, au soleil, sur l’herbe, où mon regard
Se souvenait soudain de l’avoir vue assise
Avec moi sur les fleurs, fleurs que son cercueil brise !
Et son rire et ses dents, ses yeux, son front, sa voix,
Me rentraient dans le cœur comme un coin dans le bois ;