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notes.

que l’ascendant des prêtres sur le bas peuple ne fît reculer les égorgeurs devant les assassinats sacriléges. Ils recrutèrent dans les écoles, dans les lieux de débauche et dans les clubs, des exécuteurs volontaires au-dessus de ces scrupules, et que la haine de la superstition poussait d’eux-mêmes à l’assassinat des prêtres. Des coups de fusil tirés dans les cloîtres et dans les jardins, sur quelques vieillards qui s’y promenaient, furent le signal du massacre. De cloître en cloître, de cellule en cellule, d’arbre en arbre, les fugitifs tombaient blessés ou morts sous les balles. On faisait rouler sur les escaliers, on jetait par les fenêtres, les cadavres de ceux qui avaient succombé à la décharge.

» Des hordes hideuses d’hommes en haillons, de femmes, d’enfants, attirées de ces quartiers de misère par le bruit de la fusillade, se pressaient aux portes. On les ouvrait de temps en temps, pour laisser sortir des tombereaux attelés de chevaux magnifiques, pris dans les écuries du roi. Ces chariots fendaient lentement la foule, laissant derrière eux une longue trace de sang. Sur ces piles de cadavres ambulantes, des femmes, des enfants assis, trépignaient de joie, riaient, et montraient aux passants des lambeaux de chair humaine. Le sang rejaillissait sur leurs habits, sur leurs visages, sur leur pain. Ces bouches livides, hurlant la Marseillaise, déshonoraient le chant de l’héroïsme en l’associant à l’assassinat. Le peuple hâve qui suivait les roues répétait en chœur les refrains, et dansait autour de ces chars comme autour des dépouilles triomphales du clergé et de l’aristocratie vaincus. Le petit nombre des assassins, le grand nombre des victimes, l’immensité du bâtiment, l’étendue du jardin, les murs, les arbres, les charmilles, qui dérobaient aux balles les prêtres courant çà et là pour fuir la mort, ralentirent l’exécution. La nuit tombante allait les protéger de son ombre. Les exécuteurs formèrent une enceinte, comme dans une chasse aux bêtes fauves, autour du jardin. En se rapprochant pas à pas des bâtiments, ils forcèrent à coups de plat de sabre tous les ecclésiastiques à se rabattre dans l’église ; ils les y renfermèrent. Pendant que cette battue s’opérait au dehors, une recherche générale dans la maison refoula de même dans l’église les prêtres échappés aux premières décharges. Les assassins rapportèrent sur leurs propres bras les prêtres blessés qui ne pouvaient marcher. Une fois parquées dans cette enceinte, les victimes, appelées une à une, furent entraînées par une petite porte qui ouvrait sur le jardin, et immolées sur l’escalier.

» L’archevêque d’Arles, Duleau, le plus âgé et le plus vénéré