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NOTES.

sinon impossible, du moins très-difficile à gravir, même par le plus intrépide chasseur de chamois. Au-dessous de nous, en revanche, un immense précipice qu’entr’ouvrait, autant que la vue pouvait s’étendre, un rocher à angles tantôt rentrants et tantôt saillants. Plus de chemins, plus de maisons, plus de chevaux : tout avait disparu. Ma surprise était extrême.

» — Eh bien ! qu’as-tu donc à regarder ce gouffre ? me crie-t-on de toutes parts. Ce n’est pas de ce côté, je pense, que tu veux diriger tes pas ? Vois-tu sur la crête de ce roc ce sapin que l’œil peut à peine distinguer d’ici ? Dans deux heures, il faut que nous l’embrassions ; car c’est sous son ombrage que nous dresserons la table du déjeuner.

» — Soit, repris-je, essayant de faire bonne contenance, mais visiblement déconcerté de voir m’échapper la bonne calèche qui m’avait voituré jusque-là ; marchons, messieurs !

» — Marcher ! non pas : à cheval et en voiture !

» Mon étonnement redoublait, et je cherchais en vain les moyens de cheminer dans les flancs d’une montagne qui paraissait si ardue, avec un attirail qui comportait toute la latitude d’une grande route ; et j’allais témoigner mon incrédulité, lorsque mon attention fut surprise par la vue d’une petite éminence qu’on me montra à quelques pas de l’endroit où nous nous trouvions.

» — Eh bien ! quoi de nouveau ? m’écriai-je.

» — Il y a, s’écria notre discoureur en chef, celui à qui avait été conféré, à l’unanimité, le droit de prendre la parole toutes les fois que, sur notre route, il se présenterait quelques chroniques ou légendes à raconter ou à expliquer, il y a que ce lieu s’appelle la Pointe du Prophète, et voici pourquoi : À peu près vers l’an 80 du siècle dernier, un ermite y avait construit sa cabane ; ses jours et ses nuits s’y passaient dans la contemplation et la prière, et, dans tout le pays, il était révéré comme un homme d’une grande sainteté. Un jour de fête, que quelques familles s’étaient rendues près de lui pour lui demander des prières et lui porter le pain et les racines qui faisaient sa nourriture, elles le trouvèrent en extase sur la pointe du roc, les bras croisés sur sa poitrine, et les yeux levés vers le ciel. Elles ne voulurent pas le distraire de sa contemplation, et, s’agenouillant, elles attendirent qu’il vînt de lui-même vers elles. Tout à coup un rayon de lumière sembla descendre du ciel et s’arrêter sur sa tête ; une force toute-puissante l’enleva de terre et le soutint suspendu, puis sa bouche s’ouvrit ; et l’ermite, se tournant de leur côté, laissa échapper