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notes.

plénitude de sa voix, qui alla se répercuter dans les flancs de la montagne, dormons-nous ? Vous en avez tout l’air. Je vous préviens que ce n’est pas le moment. Est-ce déjà la fatigue qui vous cloue ainsi à cette place ? À votre âge, j’aurais arpenté quarante montagnes comme celle-ci. Nous avons du chemin à faire : en route !…

» Sensible au reproche de fatigue qui venait de m’être adressé, je m’étais élancé, tout prêt à prouver mon courage et l’excellence de mon jarret à celui qui en paraissait douter, et je répétai après lui : En route !

» Toutefois, je ne pus me décider à me mettre en route sans donner un dernier regard au spectacle que j’avais sous les yeux. Le jour était venu complétement, et le soleil, tombant d’aplomb sur la montagne, avait balayé le reste de la brume qui flottait sur ses flancs. Non, je n’ai rien vu d’aussi beau, d’aussi admirable, d’aussi surprenant, d’aussi ravissant, comme dirait madame de Sévigné. Sur ma tête, des rocs, surmontée eux-mêmes d’autres têtes de rocs qui semblent, aux yeux de l’homme, une succession d’échelons pour arriver à la Divinité. Sous mes pieds un sol calcaire et nu, sur lequel le moindre brin d’herbe n’aurait pu trouver la terre suffisante à nourrir sa racine. À mesure que le regard descendait des hauteurs de la montagne et s’abaissait dans la plaine, un paysage des plus variés se déroulait sous nos yeux. Devant nous, des campagnes luxuriantes, des prairies immenses développant un long tapis de verdure, ou des plaines autant que la vue pouvait s’étendre, étalant une pelouse de fleurs blanches du sarrasin ; les arbres qui les entourent, les fossés qui les ceignent, forment le cadre du tableau, au milieu duquel l’Isère, tantôt fière, fougueuse et précipitant ses eaux, tantôt calme et paisible, et recevant le tribut des ondes de tous les cours d’eau qui descendent de la montagne, comme une reine recevrait l’hommage et les soins de ses tributaires. De loin en loin s’élèvent quelques petits villages, dont les cheminées matinales laissent sortir une épaisse fumée qui s’envole en tourbillons grisâtres. De l’autre côté de l’Isère, la plaine semble brusquement interrompue par de nouvelles montagnes qui, semblables à celles sur laquelle nous nous étions abandonnés à l’aventure, étalent dans le bas et presque au sortir du sol tout le luxe d’une fécondité inaltérable, et qui peut suffire à tous les désirs, à tous les besoins de ses habitants, tandis que le front de la montagne nue et calcinée, dépouillé de sa chevelure d’arbres, semble un géant découronné, et sur lequel la foudre a laissé son signe terrible de