Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 4.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
88
jocelyn.

6 mai 1786.

Ah ! j’ai donc le secret des larmes de ma sœur !
Puisse mon sacrifice acheter son bonheur !

Tout à l’heure au jardin, pensif et solitaire,
Je traînais au hasard mes pas distraits à terre
Dans l’allée au couchant, le long de la maison ;
Mon pied, qui s’imprimait sans bruit sur le gazon,
Ne retentissait pas, dans l’herbe où je l’appuie,
Plus que l’oiseau qui pose, ou la goutte de pluie.
Je tenais dans la main ce livre où tant de pleurs
Coulent du cœur de Paul et des yeux des lecteurs,
Quand, le canot parti, chaque coup de la rame
Emporte Virginie, arrache l’âme à l’âme ;
Je sentais tout mon cœur se fondre de pitié,
Et la page toujours restait lue à moitié.
Tout à coup quelques mots murmurés à voix basse
Fixèrent ma pensée et mes pas sur la place.
Ce bruit inusité dans le muet enclos,
Ces sons entrecoupés de timides sanglots,
S’élevaient, s’abaissaient de distance en distance,
Puis mouraient étouffés dans un morne silence.
Inquiet, j’avançai d’un pas discret et sûr
Vers la fenêtre basse et sous l’angle du mur ;
J’écartai de la main les pampres de la treille,
Et, de la jalousie approchant mon oreille,