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première époque.

Et plongeant un regard dans la nuit du boudoir,
J’entendis et je vis. Un seul rayon du soir,
Que brisaient les barreaux et les feuilles obscures,
Éclairait à demi la chambre et les figures.
Ma mère était au fond, assise au bord du lit,
Les yeux sur un papier comme quelqu’un qui lit ;
L’ombre de ses cheveux me cachait son visage,
Mais j’entendais tomber des gouttes sur la page.
Ma sœur assise auprès, un de ses bras passé
Au cou de notre mère avec force embrassé,
Le front sur son épaule et noyé dans sa robe,
Pour cacher la rougeur que la pudeur dérobe,
S’efforçait vainement d’étouffer ses douleurs :
Des mèches de cheveux qui ruisselaient de pleurs,
Détachés de sa tête et collant sur sa joue,
Le mouvement d’un sein que le sanglot secoue,
Et le son de deux voix brisé, tout trahissait
Deux cœurs brisés eux-mêmes, et des pleurs qu’on versait.
— « Julie ! il est donc vrai, disait ma mère ; il t’aime ?
» Et toi, tu le chéris aussi ? — Plus que moi-même !
» — Hélas ! je comprends trop ce tendre et triste aveu.
» Vous voir unis un jour était mon plus doux vœu ;
» Mais Dieu, qui de ses dons fut pour nous trop avare,
» Vous unit d’une main, de l’autre vous sépare.
» Quand je te donnerais, ma fille, tout mon bien,
» Ta dot à peine encore égalerait le sien,
» Et tu le vois, un père, inflexible à vos larmes,
» Compte pour rien son fils, son désespoir, tes charmes,
» Si tu n’apportes pas à sa famille encor,
» Avec tant d’innocence et tant d’amour, de l’or.
» De l’or !… Ah ! si mes pleurs au moins pouvaient t’en faire,
» On verrait ce qu’il tient dans les yeux d’une mère ;
» Dieu le sait. Je voudrais acheter à ce prix
» Un époux pour ma fille, une femme à mon fils.