Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 41.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
117
CHAPITRE III.

De peur que les renards ou les écureuils ne leur fissent mal à terre, pendant que j’allais sarcler le maïs ou retourner les meules de foin dans le petit pré, je suspendais leur berceau sur la grosse branche basse et souple du châtaignier, et je m’en rapportais au vent pour les balancer doucement dans leur nid ; n’est-ce pas ainsi que font les oiseaux ? Moi, mes deux oiseaux n’avaient pas d’ailes ; je ne craignais pas qu’ils s’envolassent pendant l’ouvrage. Ils se ressemblaient tellement, qu’on ne connaissait pas la petite du petit autrement qu’a la couleur de leur cheveux, quand ils me tendaient les bras pour que je leur donnasse le sein. Il n’y avait pas six mois d’âge entre eux deux, Hyeronimo étant né la même année que Fior d’Aliza avait vu le jour.

Je disais souvent à mon beau-frère Antonio : « Remarie-toi donc pour donner une autre mère à ta fille ; » mais il me disait toujours non. « Je lui donnerais bien, à elle une autre mère, mais qui est-ce qui me donnerait, à moi, une autre femme ? »

Sa consolation était de ne jamais vouloir se consoler. Le chagrin qu’il nourrissait et les larmes qu’il ne cessait pas de répandre en pensant à sa pauvre belle femme morte, finirent par lui rétrécir le cœur et par le rendre aveugle, comme le voila ; il ne pouvait presque plus travailler aux zampognes ; d’ailleurs, on n’en commandait guère depuis que les Français dominaient à Rome et à Lucques ; les pifferari, joueurs de musette, ne sortaient plus des Abruzzes,