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CHAPITRE PREMIER.

rol ; c’était un émigré comme Rivarol : il avait autant d’esprit, et du meilleur, qu’il soit possible d’en concentrer dans une tête humaine, même au pays de Voltaire et du chevalier de Grammont. Il avait tiré un parti très-habile du malheur de la monarchie et de la fréquentation des princes pendant leur exil. Les disgrâces mêmes du sort sont gracieuses aux hommes de cette nature, ils ne prennent rien trop au sérieux dans la vie. Il y a toujours de la ressource dans l’esprit souple et flexible d’un courtisan de rois tombés. Il s’était voué de bonne heure à ce rôle de l’espérance et de l’activité dans les causes en apparence perdues ; il avait conspiré avec les flatteurs de la haute émigration en Suisse, en Russie, en Angleterre ; il s’était lié avec M. de Blacas, homme plus sérieux, mais moins aimable que lui ; Louis XVIII l’aimait pour sa légèreté, il tenait tête à ce monarque en matière classique et épigrammatique ; il avait écrit en 1814 des brochures royalistes qui lui avait fait un nom d’homme d’État de demi-jour, à l’époque où une brochure paraissait un événement ; il n’était point un ennemi des transactions avec la révolution pacifiée ; il savait se proportionner aux choses et aux hommes ; il n’avait aucun préjugé, grande avance pour faire sa place et sa fortune ; mais il la mangeait à mesure qu’il la faisait. Le roi avait fini par le nommer ministre en Toscane. Il n’y jouissait pas d’une considération très-sérieuse, mais d’une réputation d’esprit très-méritée. Les émigrés, ses contemporains, très-légers au commencement, étaient devenus moroses et pé-