Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 5.djvu/269

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au moins voir cette fille de Mme de Staël, incarnation féminine de ce génie viril de sa mère, la beauté de ses rêves, la vertu de ses conceptions.

Je priai Mme de Saint-Aulaire, son amie, de me présenter à Mme de Broglie. Elle voulut bien y consentir. Dès que j’eus aperçu la fille, je ne regrettai plus de n’avoir pas connu la mère. Elle effarait tout. Elle fut pour moi pleine de grâce, d’indulgence, d’accueil. Elle avait une de ces beautés religieuses dont le vrai cadre est un sanctuaire ; toutes les pensées qui traversaient ses beaux yeux semblaient venir directement du ciel, et s’adoucir seulement en regardant les choses d’ici-bas pour ne pas les consumer et les pulvériser du regard. Son âme, en effet, habitait les tabernacles d’en haut : c’était la mère de famille telle que Raphaël aurait pu la peindre, si la Vierge avait eu d’autres enfants qu’un Dieu ! Mme de Broglie me présenta à son mari, déjà illustre alors, et chef studieux et éloquent de l’opposition à la Chambre des pairs. J’entrevis chez elle tout le personnel aristocratique et libéral de l’Europe, que son nom, son charme et l’importance politique de son mari attiraient dans son salon. Bientôt, éloigné de Paris par des fonctions diplomatiques que je dus en partie à l’intérêt de ces deux femmes éminentes, je perdis de vue cette société ; mais je ne perdis jamais de ma mémoire les grâces de l’accueil dont j’y avais été honoré.

Mme de Broglie avait en religion le caractère que sa mère, Mme de Staël, avait en génie l’enthousiasme contenu, actif et éloquent. C’était la statue grave de la Prière, la femme de Dieu, pour lui appliquer celle belle et simple expression des hommes de bien par excellence : « C’est un homme de Dieu. » Quand j’appris sa mort prématurée, qui la cueillait avant l’été, mais déjà avec