Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 5.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Mais pourquoi donc le tien se ferme-t-il avant
Que la mort ait fermé ton poëme vivant,
Homère de l’histoire à l’immense Odyssée,
Qui, répandant si loin ta féconde pensée,
Soulèves les vieux jours, leur rends l’âme et le corps,
Comme l’ombre d’un dieu qui ranime les morts ?
Ta fibre est plus savante et n’est pas moins sonore ;
Tes jours n’ont pas atteint l’heure qui décolore,
Ton front n’a pas encor perdu ses cheveux gris,
Couronne dont la muse orne ses favoris,
Où, comme dans les pins de ta Calédonie,
La brise des vieux jours est pleine d’harmonie.
Mais, hélas ! le poète est homme par les sens,
Homme par la douleur ! Tu le dis, tu le sens ;
L’argile périssable où tant d’âme palpite
Se façonne plus belle et se brise plus vite ;
Le nectar est divin, mais le vase est mortel :
C’est un Dieu dont le poids doit écraser l’autel ;
C’est un souffle trop plein du soir ou de l’aurore
Qui fait chanter le vent dans un roseau sonore,
Mais qui, brisé du son, le jette au bord de l’eau
Comme un chaume séché battu sous le fléau.
Ô néant ! Ô nature ! Ô faiblesse suprême !
Humiliation pour notre grandeur même !
Main pesante dont Dieu nous courbe incessamment,
Pour nous prouver sa force et notre abaissement,
Pour nous dire et redire à jamais qui nous sommes,
Et pour nous écraser sous ce honteux nom d’hommes !
Je ne m’étonne pas que le bronze et l’airain
Cèdent leur vie au temps et-fondent sous sa main,
Que les murs de granit, les colosses de pierre
De Thèbe et de Memphis fassent de la poussière,
Que Babylone rampe au niveau des déserts,
Que le roc de Calpé descende au choc des mers,