Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


En mer, partis de l’île de Chypre, le 2 septembre 1832.


Nous avons mis à la voile hier, à minuit. Nos amis de Chypre, MM. Bottu et Perthier, ont passé la soirée avec nous sur le pont du brick, et ne nous ont quittés qu’à minuit. Nous emportons les plus vifs sentiments de reconnaissance pour l’accueil vraiment amical que nous ont fait M. et madame Bottu. C’est une singulière destinée que celle du voyageur : il sème partout des affections, des souvenirs, des regrets ; il ne quitte jamais un rivage sans le désir et l’espérance d’y revenir retrouver ceux qu’il ne connaissait pas quelques jours auparavant. Quand il arrive, tout lui est indifférent sur la terre où il promène sa vue : quand il part, il sent que des yeux et des cœurs le suivent de ce rivage qu’il voit s’enfuir derrière lui. Il y attache lui-même ses regards, il y laisse quelque chose de son propre cœur ; puis le vent l’emporte vers un autre horizon où les mêmes scènes, où les mêmes impressions vont se renouveler pour lui. Voyager, c’est multiplier, par l’arrivée et le départ, par le plaisir et les adieux, les impressions que les événements d’une vie sédentaire ne donnent qu’à de rares intervalles ; c’est éprouver cent fois dans l’année un peu de ce qu’on éprouve dans la vie ordinaire, à connaître, à aimer et à perdre des êtres jetés sur notre route par la Providence. Partir, c’est comme mourir, quand on quitte ces pays lointains où la destinée ne conduit pas deux fois le voyageur. Voyager, c’est résumer une longue vie en peu d’années ; c’est un des plus forts exer-