Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/313

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furent mêlées pour moi d’un sentiment plus vivant de respect, de tendresse, comme de souvenir ; mon voyage devint souvent une prière, et les deux enthousiasmes les plus naturels à mon âme, l’enthousiasme de la nature et celui de son auteur, se retrouvèrent presque tous les matins en moi aussi frais et aussi vifs que si tant d’années flétrissantes et desséchantes ne les avaient pas foulés et refoulés dans mon sein ! Je sentis que j’étais homme encore en paraissant devant l’ombre du Dieu de ma jeunesse ! — À visiter les lieux consacrés par un de ces mystérieux événements qui ont changé la face du monde, on éprouve quelque chose de semblable à ce qu’éprouve le voyageur qui remonte laborieusement le cours d’un vaste fleuve comme le Nil ou le Gange, pour aller le découvrir et le contempler à sa source cachée et inconnue : il me semblait à moi aussi, gravissant les dernières collines qui me séparaient de Nazareth, que j’allais contempler, à sa source mystérieuse, cette religion vaste et féconde qui, depuis deux mille ans, s’est fait son lit dans l’univers du haut des montagnes de Galilée, et a abreuvé tant de générations humaines de ses eaux pures et vivifiantes ! C’était là la source, dans le creux de ce rocher que je foulais sous mes pieds ; cette colline dont je franchissais les derniers degrés avait porté dans ses flancs le salut, la vie, la lumière, l’espérance du monde : c’était là, à quelques pas de moi, que l’Homme modèle avait pris naissance parmi les hommes, pour les retirer, par sa parole et par son exemple, de l’océan d’erreur et de corruption où le genre humain allait être submergé. Si je considérais la chose comme philosophe, c’était le point de départ du plus grand événement qui ait jamais remué le monde moral et politique, événement dont le contre-coup imprime seul encore un reste de mouvement