Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/37

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les fibres d’un squelette gigantesque et décharné vu de loin, à la lueur pâle et immobile des lampes de Westminster ou de Saint-Denis. Le lendemain, ces squelettes doivent reprendre la vie, étendre des ailes repliées comme nous, et s’envoler ainsi que des oiseaux de l’Océan, pour aller se poser sur d’autres rivages. Nous entendons, du pont où je suis, le sifflet aigu et cadencé du maître d’équipage qui commande la manœuvre, les roulements du tambour, la voix de l’officier de quart. Les pavillons glissent du mât ; les canots, les embarcations remontent ce bord, comme au geste rapide et vivant d’un être animé. Tout redevient silence sur leurs bords et sur le nôtre.

Autrefois l’homme ne s’endormait pas sur ce lit profond et perfide de la mer sans élever son âme et sa voix à Dieu, sans rendre gloire à son sublime Auteur au milieu de tous ces astres, de tous ces flots, de toutes ces cimes de montagnes, de tous ces charmes, de tous ces périls de la nuit ; on faisait une prière le soir, à bord des vaisseaux ! Depuis la révolution de Juillet, on n’en fait plus. La prière est morte sur les lèvres de ce vieux libéralisme du dix-huitième siècle, qui n’avait lui-même rien de vivant que sa haine froide contre les choses de l’âme. Ce souffle sacré de l’homme, que les fils d’Adam s’étaient transmis jusqu’à nous avec leurs joies ou leurs douleurs, il s’est éteint en France dans nos jours de dispute et d’orgueil ; nous avons mêlé Dieu dans nos querelles. L’ombre de Dieu fait peur à certains hommes. Ces insectes qui viennent de naître, qui vont mourir demain, dont le vent emportera dans quelques jours la stérile poussière, dont ces vagues éternelles jetteront les os blanchis sur quelque écueil, craignent de confesser, par un